L'artiste travaille une œuvre scindée : il peint une partie du tableau, comment est-il porté à peindre l'autre partie ? Il vit dans son corps la question de les mettre ensemble, de les articuler. Il ressent ce travail de déchirure et de recollement.
Ce collage veut rompre la platitude des formes et des modes d'être. Et chacun en a fait l'expérience lorsqu'une épreuve l'a mis à plat, qu'il doit recoller les morceaux, chercher des greffes de vie, se raccrocher à des fragments d'altérité, des bouts de rappels ; bref relancer la partition de sa mémoire.
Le collage déclenche un langage qui confronte une forme à ses fantômes, à ses altérations. La partie prise pour le tout, le tout pris à partie et faisant face "s'expliquent" ensemble. Dans un travail créatif il y a toujours deux langues. C'est vrai dans chaque langue en état de création : un mot se laisse couper par d'autres mots pour que surgisse l'inattendu ; de même, un geste et une couleur se laissent couper pour déjouer l'inertie des formes, et jouir de leurs différences - sensuelles, sexuelles. L'artiste fait se "toucher" des parties de l'œuvre ; il les fait se rencontrer, s'aborder, se parler, s'aimer. Il y a la surcharge, la surimpression, le côte à côte, le bord à bord, la juxtaposition, le recoupement… C'est aussi varié que deux corps côte à côte qui vont ensemble. Quand "ça colle", la tension entre deux "sens" les fait jouir l'un de l'autre ou les guérit l'un par l'autre. L'être ou le vide séparait les parties, l'œuvre surmonte la coupure et un plus de dimension émerge.
L'acte créatif se tient entre l'abandon à "ce qui vient" et le choix rigoureux ; la spontanéité et le travail acharné. Tout cela est d'un seul tenant (Rilke), le tenant de l'être, de part et d'autre de la faille.
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