22.3.10

Chantal Thomas

Dominique Louise Pélegrin :
Vous semblez plaider pour une réhabilitation de la solitude.

Chantal Thomas :
Une vraie rencontre avec l'art se fait à l'intersection de deux solitudes. Face à une œuvre, chacun occupe seul un espace qui n'est ouvert que pour lui, loin des médias, des guides, des emplois de temps. Or, il y a chez beaucoup de gens une terreur, une incapacité à supporter le vide, la lenteur. C'est d'autant plus paradoxal et ironique que toutes ces œuvres qu'on nous offre à consommer sont souvent issues d'une solitude extrême, parfois ancrées dans la folie.
C'est une forme de privilège d'être seul. Mais la société diffuse une image dangereuse, négative de la solitude. Aujourd'hui, errer, vagabonder est supposé être un comportement adolescent. Si on continue d'être en quête à 30, 40 ou 50 ans, c'est mauvais signe. Le contact avec l'art nous permet justement de prendre conscience que cette errance, ce doute intérieur que nous ressentons ne sont pas une brèche dans notre vie que l'on pourrait vite colmater ; c'est nous, c'est ce que nous sommes.
Il y a un musée que j'aime particulièrement, le musée Picasso à Antibes. Y sont exposées uniquement des œuvres que le peintre a produites lors d'un séjour dans la ville. Déjà ça c'est fascinant : on voit se déployer les détours de sa créativité. On détourne les yeux d'un faune et on regarde par la fenêtre qui donne sur la mer. Dans un musée il y a toujours un bonheur à regarder par la fenêtre. Notre regard s'habitue à un cadre, et, soudain, ce n'est plus celui d'un tableau, c'est le monde qui apparaît. Selon votre humeur, à Antibes, vous verrez par la fenêtre la mer, le bleu, le vide. De même quand on sort d'un livre, on entend autrement les conversation qui se tiennent autour de nous. C'est ça le bonheur de l'art, le relief que ça donne au monde.

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